Michèle Ricard écrit une nouvelle page

La vie des arènes de Méjanes

Le Réjon d’Or par les cavaliers de l’Apothéose


En 1971, se prépare au Domaine de Méjanes, un événement très spécial.

Un événement qui restera gravé à jamais dans la mémoire de chacun de nous.

Une journée hors du temps que nous avons été des dizaines de milliers à partager dans ce paradis du bout du monde qu’est Méjanes : le Rejon d’Or par les Cavaliers de l’Apothéose.

Ce Rejon d’Or là, nous le devons en partie à un personnage hors du commun, qui associe lui aussi son destin à celui de Méjanes. Il s’agit de Ramon Gallardo.

Ramon est originaire de Valencia en Espagne.

Il torée régulièrement dans les arènes du sud de la France, apprécie la région et s’installe à Arles en 1952 puis aux Saintes Marie de la Mer où il vit toujours.

Matador il se produit des dizaines de fois à Arles, Fréjus, Vallauris… il y remporte le Prix Picasso. Puis il participe à de nombreuses corridas en tant que banderillero.

En parallèle de ses activités tauromachiques, Ramon est boucher. Il achète la viande à Pierre Pouly à la sortie des arènes d’Arles et la vend sur les marchés de Tarascon, des Saintes Marie de la Mer…

En 1971, Ramon Gallardo anime les arènes de Méjanes, il le fera pendant 8 ans.

Chaque semaine, des agences parisiennes envoient des bus remplis de centaines touristes sur le domaine et Ramon organise pour eux des découvertes à cheval mais aussi et surtout de grands spectacles d’équitation Camargue, des courses de taureaux, des corridas de simulacre…

Le dimanche, il propose des courses à la cocarde, des corridas, à pied et à cheval pour le public plus régional qui vient déjeuner sur le domaine et poursuivre l’après-midi dans une ambiance festive et ultra-conviviale au milieu des chevaux, des taureaux, des grands toreros français de l’époque comme Marius, Christian et Albert Lescot, Gerald Pellen, Charles Fidani,... On y retrouve souvent Ramon en banderillero.

Ramon est très proche d'Angel Peralta et de Fermin Diaz.

Avec Angel, ils se connaissent depuis leurs débuts dans le monde taurin en Espagne.

C’est au cours de l'un de ses séjours en Espagne dans un petit village à côté de Pampelune, qu’il assiste à une présentation des Cavaliers de l'Apothéose. Il trouve ce Rejon extraordinaire. Du jamais vu !

Avec Fermin, il décide de faire découvrir ce cartel d’excellence au public de Méjanes !

Ce serait José Samuel Pereira Lupi qui aurait créé ce concept des Cavaliers de l’Apothéose avec Alvaro Domecq, Angel Peralta et Rafael Peralta.

Le programme de la Feria d’Arles vient de paraître… le 14 juillet 1971, jour du Rejon de Méjanes, le torero Luis Miguel Dominguin prévoit de faire son grand retour !

Peu de chances alors pour Méjanes de remplir les arènes, avec une telle affiche, à la même date dans la ville voisine.

Malheureusement, le planning ultra chargé du cartel qui se produit à travers toute l'Espagne avec succès, ne nous laisse pas d’autre alternative…

Par courtoisie pour son ami Pouly le directeur des arènes d’Arles à l’époque, Ramon lui présente le projet. Pierre Pouly lui répond après quelque hésitation « qu’après tout, il y a de la place pour tout le monde ! »

Voyons si le public de Méjanes sera au rendez-vous…

Le 14 juillet 1971 en début d’après-midi, des milliers de voitures arrivent au domaine. Les arènes ne tardent pas à se remplir. On refuse du monde, beaucoup de monde.

Le spectacle est à la hauteur de nos espérances et de celles du public.



L’Histoire du mythe


Freddy Porte, grande figure de la Camargue et de la Tauromachie nous confie au sujet des arènes de Méjanes… « J’ai aimé Méjanes en tant que rejoneador, aficionado, artiste équestre et en tant que journaliste. Je me suis produit sur les plus belles scènes de France et d’Europe, à Paris, à Saumur, à Genève, à Vérone… mais c’est à Méjanes, toujours, que mon cœur battait le plus fort.

Le Domaine de Méjanes représente, pour moi, Le Temple, le Sanctuaire, le Saint des Saints de la Camargue et de sa culture, de ses traditions : en particulier, des traditions tauromachiques.

Le Rejoneo en France ne serait d’ailleurs pas ce qu’il est s’il n’y avait pas eu Méjanes. N’oublions pas que la plus plupart des réjoneadores français ont débuté à Méjanes…

En 1971, avec les Cavaliers de l’Apothéose à Méjanes, c’est la première fois en France que nous découvrions une corrida entièrement consacrée au Rejonéo et ce avec les plus grands Rejoneadores espagnols de l’époque. C’est la première fois que nous accédions de manière intime à la pureté d'une culture dont certains détails nous échappaient encore. Loin de démériter les cavaliers français qui nous avaient précédé se produisaient encore à cette époque dans un métissage culturel camarguais-ibérique. (Ces derniers s'exprimaient avec beaucoup de courage et de talent et ce de manière instinctive.)

Ce fut pour moi l'occasion de comprendre qu'il fallait rompre avec cette manière de faire. Mes confrères Jacques Bonnier, Gérald Pellen et Luc Jalabert firent le même constat et ainsi une nouvelle ère s'ouvrit pour la corrida à cheval française. L’univers ultra fermé des toreros espagnols ne s’ouvrit pas facilement, nous l'avions entre-bâillé, il fallut beaucoup de travail et d'énergie pour nous faire une place.

Je me souviens du mozo de espada d’un réjonéador cette année là, qui en échange d’une pièce, me permit de mesurer la taille des caisses, des banderilles, des réjons de castigos,… de son Maestro : Le Graal.

Depuis ce jour du 14 juillet 1971 je n’ai raté aucun Rejon d’Or. La particularité de Méjanes lors de ce rendez-vous exceptionnel au vu de l’excellence des cartels présentés, réside dans le fait que le public de passionnés pouvait accéder tôt le matin aux coulisses et apprendre en observant. Il n’existait, surtout à cette époque là aucun autre lieu qui permettait cela. Assister à la préparation des chevaux, à la mise en place du matériel, à la détente jusqu’à l’entrée aux arènes. Longtemps, ce fut le seul rdv de ce genre.

C’est à Méjanes aussi que les français découvrent pour la première fois, l’excellence de la Doma Vaquera. Nous sommes dans les années 80, le grand cavalier sévillan Rafael Jurado réalise avec son cheval « Malandrin » une éblouissante démonstration de Doma Vaquera. Le Maestro est venu avec son équipe pour un spectacle complet. Parmi ses cavaliers, le jeune Joaquin Oliveira sur la jument du fer de Peralta, « La Centenaria ». Le jeune espoir atteindra d’ailleurs très vite le plus haut niveau de la discipline. La présentation de ces cavaliers cette année là, fut certainement une grande source d’inspiration pour le développement de la Doma Vaquera en France.

A Méjanes, tout est possible. Je me souviens toujours dans les années 80 : Il avait plu des trombes d’eau toute la nuit et une partie de la matinée, la piste de Méjanes était quasi- impraticable, la corrida du Réjon d'Or compromise.

N’importe où ailleurs, la course aurait été annulée. Mais ce matin là, je vis Angel Peralta la pioche à la main, Alvaro Domecq avec la pelle, au milieu de la piste, orchestrer la noria des camions chargés de sable.....Tous mirent la main à la pâte des heures durant… Le Rejon d’Or a pu avoir lieu, malgré tout, dans ces conditions de préparation apocalyptiques. Les arènes sont bondées, la course est grandiose.

Il n’y a qu’à Méjanes que cette détermination là existe, que cette envie de rendre l’impossible possible pour le plaisir de tous.


Un "incubateur" de talents


Voici un hommage à ces cavaliers, dont la reconnaissance actuelle est souvent mondiale, pour qui Méjanes a été un « tremplin » ou tout simplement un écrin pour développer leur talent devant un public de connaisseurs et de passionnés.

Les débuts des Hasta Luego

Dans les années 70, Max Hasta Luego arrive dans le sud avec son épouse, ses enfants et leurs poneys. Paul Ricard leur propose de s’installer sur le domaine pour y développer leur spectacle qu’ils produiront en famille dans toutes les fêtes et événements de la région. Erik Hasta Luego, désormais installé à Nîmes avec son Academy Hasta Luego, se souvient avec émotion de cette période de création. Depuis, sa famille et lui sont très attachés au Domaine, où ils reviennent régulièrement pour profiter d’un spectacle ou s’y produire.

La famille Gruss

Il y a également le célèbre Lucien Gruss et sa présentation époustouflante dans les années 70. Il est aussi en 2018, l’invité d’honneur avec une superbe représentation et la sortie de son livre « Pour la beauté du cheval » aux éditions Diable Vauvert.

Le Cadre Noir de Saumur

En juillet 76, les cavaliers du Cadre Noir de Saumur se présentent devant le public de la Feria. Carlos Pinto entre ensuite en piste pour une démonstration en solo sur son cheval portugais Sino. Le public est abasourdi. On n’a jamais vu une telle finesse, une telle justesse, une telle brillance. Les spectateurs l’acclament, debout. Ce jour là, Carlos Pinto est découvert par le public français.

Clémence Faivre, « l’écuyère alchimiste », guest star de l’édition 2017 de la Feria

On se souvient de l’ovation du public des arènes de Méjanes lorsqu’elle présente son fabuleux cheval Fuego. Clémence garde de son séjour un souvenir particulier, intense. Elle est, à travers ses tournées mondiales, l’une de nos plus ferventes ambassadrices.

Et puis en 2019, c’est Lorenzo,

l’enfant du pays qui nous ensorcèle avec son spectacle devant le Vaccarès. L’immense talent de ce génie équestre et de ses juments, sublimé dans le décor de cinéma qu’offre le Domaine de Méjanes. Des images à jamais gravées dans nos mémoires.